Communiqué de l’Union des Mosquées de France (UMF) : Le chien n’est pas impur !

Certaines personnes de confession musulmane auraient manifesté leur rejet des chiens guides, sous prétexte que leur bave fait partie des matières impures (au sens rituel du terme) au même titre que le sang, l’urine etc…. Face à cet argument surprenant, il n’est pas absurde de nous interroger également sur son éventuel impact sur l’état d’esprit et sur la conscience des personnes de confession musulmane qui souhaiteraient disposer d’un chien guide.

Avant d’aller plus loin dans la discussion, l’Union des Mosquées de France tient à réaffirmer avec force que rien, absolument rien, ne saurait justifier de telles situations.

Aussi rares soient-elles, elles doivent être condamnées, dénoncées et combattues. De telles attitudes sont à l’opposé des principes fondamentaux de la religion musulmane. Celle-ci nous enseigne en particulier que le progrès d’une société et la pertinence de ses valeurs et principes ainsi que la grandeur d’une civilisation et de son rayonnement se mesurent aussi par l’attention que celles-ci réservent aux êtres et personnes vulnérables, en raison de leurs handicaps ou de leurs difficultés sociales ou économiques.

Il convient de rappeler aussi que la loi, en vigueur en France, considère comme obligatoire l’autorisation de l’accès aux chiens guides dans les lieux ouverts au public, dans les transports en commun et que ces chiens n’y sont pas soumis au port de la muselière (Loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances). La méconnaissance du grand public et des professionnels de certaines dispositions de la loi concernant les chiens guides est souvent source de malentendus et de difficultés supplémentaires et insupportables pour nos concitoyens handicapés.

Pour certains sociologues, le statut du Chien auprès de l’Homme s’est dégradé à partir du moment où une corrélation entre les chiens et des maladies et épidémies s’est faite d’une manière souvent abusive. Les chiens sont devenus dans l’esprit collectif comme des vecteurs de microbes et autres germes transmissibles à l’Homme. Ce point de vue mérite davantage de développement. Cependant, l’aborder ici risque de nous éloigner de l’objet de la présente note.

  1. Concept d’impureté dans le rite musulman

Afin d’aborder les dispositions du rite musulman en lien avec le concept d’impureté, il convient de préciser d’abord ce que signifie le concept lui-même, de rappeler quelques principes sur lesquels s’accordent l’ensemble des écoles juridiques musulmanes et d’examiner ensuite le cas particulier de la bave du chien :

Concernant le concept, la tradition musulmane considère que toutes les matières sont pures (Tahirah) à l’exception de celles mentionnées comme impures (Najissah) par les textes fondateurs ou des avis juridiques reconnus. En d’autres termes, décréter qu’une matière est impure résulte des textes et non de sa composition chimique ou de sa dangerosité vraie ou supposée pour la santé humaine.

Quant aux principes, citons en particulier :

Principe 1. L’existence d’un texte religieux exigeant un lavage suite au contact d’une matière n’entraine pas forcément que celle-ci est impure. Le lavage peut être décrété pour une autre raison (Hygiène, rite, etc…). C’est le cas par exemple des ablutions rituelles. C’est aussi le cas du lavage exigé pour supprimer toute trace du parfum des habits rituels du pèlerin.

Principe 2. Une matière impropre à la consommation n’est pas forcément impure. Par contre une matière impure, toujours au sens rituel, est forcément impropre à la consommation. Sa présence (en quantité significative) dans la composition d’un produit rend celui-ci également impropre à la consommation.

Principe 3. Face à une nécessité ou à un besoin vital (Addaroura), un fait reconnu comme interdit (illicite, mahdour) pourrait devenir permis (Mubah). L’observance d’une norme religieuse ne peut en aucun cas être source de difficultés ou de gêne insupportables.

C’est à la lumière de ces principes que nous aborderons la question d’impureté de la bave du chien.

A supposer que la bave du chien est impure (chose que nous réfutons) et qu’il soit obligatoire de s’en protéger, le principe 3 ci-dessus rend cette obligation sans effet compte tenu de la mission vitale et indispensable assurée par le chien, permettant de répondre à un besoin vital, celui de permettre à une personne non-voyante d’aller et de venir en toute sécurité et sans être inquiétée.

Par ailleurs, l’observance d’une norme religieuse quelle qu’elle soit ne devrait pas nous faire oublier les principes, les valeurs et les finalités de notre cheminement spirituel et de notre pratique religieuse. Cette pratique doit nous amener à respecter les droits de l’Homme, ces droits qui sont aussi l’expression de la volonté de Dieu et l’exigence du respect de la dignité de chaque personne humaine. Cette dignité est inséparable de la nature humaine telle que Dieu l’a créée : 

« Nous avons fait dignes tous les fils d’Adam » (Coran 17 :70, Al-Isra).

Aucun être humain ne doit jamais être sacrifié. Chacun doit être reconnu et respecté pour ce qu’il est. Nul ne doit mépriser son frère. Au contraire, il doit aimer pour lui ce qu’il aime pour soi-même. C’est à ces conditions que notre société sera plus humaine, plus juste et plus fraternelle, où chacun pourra trouver sa place dans la dignité et la liberté.

  1. La bave du chien est-elle impure ?

Comme nous l’avons rappelé plus haut, toutes les matières sont pures à l’exception de celles mentionnées par les textes fondateurs ou des avis juridiques reconnus. Ceux qui pensent que la bave du chien est impure s’appuient essentiellement sur le hadith rapporté par le compagnon du prophète (PBSL) Abou Horaïra:

« Lorsqu’un chien a bu dans le vase de l’un d’entre vous, que celui-ci lave ce vase sept fois ». (Mouatta al imam Malek, El Boukhari, Muslim)

Comme on peut le constater ce hadith ne dit pas explicitement que la bave du chien est impure. Il s’agit plutôt d’une interprétation et d’une déduction de l’injonction (ou de la recommandation) du prophète (PBSL) de laver sept fois le vase.  Or nous l’avons déjà rappelé plus haut (principe 1), le fait qu’un lavage soit exigé n’entraine pas forcément la présence d’une impureté.

Pour l’école Malékite dont nous détaillerons la position plus bas, l’exigence d’un nombre précis de fois de lavage (sept) et non du simple nettoyage d’une éventuelle souillure, renforce l’idée qu’il s’agit là d’une disposition rituelle dont la finalité n’est pas indiquée dans le texte.

Il pourrait aussi s’agir d’une disposition, prise dans un contexte particulier, visant à éviter le risque de contamination, notamment lorsque le chien n’est pas suffisamment pris en charge en matière d’hygiène.

D’autres textes (aucun verset coranique n’en fait partie) qui en apparence exhortent le croyant à ne pas avoir de chien chez soi, à l’exception du chien de la chasse, de la garde de troupeaux ou des champs, ou toute autre utilité similaire, doivent être interprétés de façon à garder une cohérence entre l’ensemble des textes et à repousser toute possibilité de contradiction entre eux.

Selon l’école malékite un chien vivant, sa gueule, son museau, sa bave, ses poils, sa peau… sont purs.

C’est cet avis que nous soutenons et adoptons, celui de l’école malékite, l’une des quatre principales écoles musulmanes sunnites et la plus représentative de l’islam en France, comme elle l’est au Maghreb et en Afrique de l’ouest.  

Selon cette école, partant du principe1, de la pureté originelle, à l’instar de tous les autres animaux vivants, le chien, son museau, sa bave, ses poils, etc… sont purs (Mokhtassar Khalil par Zarkani, Tome 1, p.24). Bien entendu, comme nous l’avons déjà rappelé, la pureté d’une chose ne fait pas d’elle un produit propre à la consommation !

  1. Quels sont les autres arguments de l’école malékite ?

Ils sont très nombreux. Nous nous contenterons ici des principaux :

  1. Dans le Saint Coran (5:4, La table servie), il est dit : « O Prophète ! Les croyants t’interrogeront à propos de ce qui leur est permis de consommer. Dis-leur : « Vous êtes autorisés à consommer toutes les bonnes nourritures non interdites à votre portée ainsi que le gibier capturé pour vous par des carnassiers, falconidés et chiens de chasse, spécialement dressés à cet effet une fois que vous leur aurez appris ce que Dieu vous a enseigné ».

Ce verset qui autorise clairement la consommation du gibier capturé par le chien de chasse ne mentionne pas la nécessité d’en retirer ou de laver la partie qui était en contact avec la gueule du chien. Si ce contact la rendait impure elle serait, selon le principe 2 rappelé plus haut, impropre à la consommation (Voir aussi la Moudawana, Tome 1, p.6).

De plus, il est rapporté dans (Recueil de Muslim) qu’un de ses compagnons, ‘Adi-ben-Hâtim,l’interrogea : « O prophète, j’envoie mes chiens (de chasse) en prononçant le nom de Dieu, puis-je consommer le gibier qu’elles capturent pour moi ?». Le Prophète (PBSL) lui répondit « Si tu envoies tes chiens bien dressés et elles capturent pour toi un gibier, prononce le nom de Dieu et consommes-en ». ‘Adi-ben-Hâtim l’interrogea à nouveau « même si le gibier avait été tué par les chiens ? », le prophète lui répondit « Oui ! à condition qu’aucun autre chien qui n’est pas à toi n’aurait participé à la capture ». Une version légèrement différente est rapportée également dans (Recueil d’El Boukhari).

2. Le passage du Saint Coran (18 : 9-22, La caverne) est consacré à l’histoire d’un groupe de jeunes croyants qui, pour fuir la persécution dont ils étaient victimes, se sont retirés dans une caverne en compagnie de leur chien présenté comme un compagnon fidèle qui partageait avec eux le même espace.

 3. Dans le recueil des hadiths (El Boukhari, chapitre 33, titre 4):

3.1. Selon Abou-Horaïra « on tient du Prophète qu’un homme vit un chien tellement altéré qu’il mangeait de la terre humide. Prenant alors sa bottine, cet homme s’en servi pour puiser de l’eau qu’il offrit au chien et répéta ce manège jusqu’à ce que l’animal se fût désaltéré. Dieu sut gré à cet homme et le fit entrer au Paradis ».

3.2. Selon ‘Abdallah-ben-‘Omar a dit : « Au temps de l’Envoyé de Dieu, les chiens allaient et venaient par toute la mosquée et pourtant on n’aspergeait (d’eau) rien de tout cela ».

Nous pouvons déduire de ces hadiths que la bave du chien n’est pas considérée comme impure, autrement le prophète (PBSL) aurait mentionné dans les deux cas la nécessité de procéder à un lavage de purification.

Conclusion

Partant de la pureté originelle de toute matière et compte tenu des versets coraniques autorisant la consommation du gibier capturé par les chiens de chasse, du récit des jeunes croyants du chapitre « la caverne » et du fait que les chiens rentraient dans la mosquée au temps du prophète (PBSL) sans que cela ne pose de problème particulier, on peut déduire que le chien est considéré pur en soi.

Le hadith du « lavage du vase » cité plus haut ou les hadiths qui indiquent, par exemple que les anges ne rentrent pas dans une maison qui abrite un chien ou que la récompense de celui qui possède un chien dans sa maison se trouve diminuée ne permettent pas de conclure sur la question de l’impureté du chien. Elles visent simplement, pour des raisons qui ne sont pas mentionnées dans les textes, à limiter la présence du chien dans l’espace de vie des hommes lorsque cette présence n’est pas utile ou nécessaire. Leurs interprétations ne doivent en aucun cas conduire à des contradictions avec les autres textes, notamment avec les verstes coraniques.  

Les chiens qui se comptent par millions en France, au-delà de leurs rôles de fidèles compagnons pour certains, sont aujourd’hui au cœur de nombreux dispositifs utiles et nécessaires pour la vie des Hommes. La contribution décisive du chien aux opérations de sauvetage, à la recherche des survivants des catastrophes naturelles, à la recherche de personnes disparues, à la lutte contre les trafics de drogues et stupéfiants, à la détection d’explosifs, est une réalité incontestable. Quant aux Chiens Guides d’Aveugles, il ne faut jamais perdre de vue qu’ils sont indispensables pour leurs maîtres autant que le sont nos propres yeux pour nous-mêmes.

 

UMF- 65, rue d’Amsterdam – Paris 75008 – [email protected] – tél : 01 53 16 18 97 –www.umfrance.fr

² Cette note fait suite à une rencontre entre M. Mohammed Moussaoui, président de l’UMF, Mme. Christine Lazerges, présidente de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) et Mme. Bernadette Pilloy, membre de la CNCDH représentant le Conseil Français des personnes handicapées pour les questions européennes (CFHE) et vice-présidente de l’Association Nationale des Maîtres de Chiens Guides d’Aveugle (ANMCGA).

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