Une grande figure de l’Islam : Râbi’ah Al-’Adawiyyah
Lire la biographie de la Noble Dame Râbi’ah Al- ’Adawiyyah, c’est être ballotté entre les flots de lumière, les effluves de couleurs et l’odeur des parfums spirituels. Les événements extérieurs de sa vie sont relativement peu nombreux… Mais les événements intérieurs, propres à son âme céleste, sont innombrables. La raison humaine ne peut concevoir les degrés de l’amour qu’a gravis cette femme, dans la recherche effrénée de Celui qu’elle aime…
Naissance de Râbi’ah et contexte social de l’époque
Râbi’ah vit le jour à une époque caractérisée par l’emprise de l’apparat. Les Musulmans avaient alors conquis la plus grande partie du monde connu. Les richesses s’amassaient chez eux en provenance du monde entier. La distance spatio-temporelle qui les séparait de l’époque du Prophète (paix et bénédiction de Dieu sur lui) et du temps du Califat Bien- Guidé allait grandissant. Le faste et l’amour de la matière s’étaient installés chez eux. Bref, le moment était venu pour qu’une voix nouvelle retentît de l’appel authentique et éternel, l’Appel de Dieu…
Râbi’ah Al-’Adawiyyah naquit vers l’an 100 de l’Hégire, soit vers 719 de l’ère chrétienne, à Bassora (Iraq). Son père, qu’elle partageait avec trois sœurs, était un homme indigent mais dévoué à Dieu. Celui-ci mourut alors que la petite Râbi’ah avait moins de dix ans. Quelques mois plus tard, ce fut sa mère qui fut rappelée auprès de son Seigneur. Les quatres sœurs se
retrouvèrent seules, démunies, sans personne pour les aider à surmonter la misère, la faim et la gêne. Elles se quittèrent alors, chacune résolue à se trouver son chemin…
Bassora souffrait à cette époque d’une épidémie qui l’avait envahie, et à laquelle succéda une période de disette. Les brigands et les bandits de grand chemin se firent de plus en plus nombreux. L’un d’eux s’empara un jour de Râbi’ah et la vendit pour six dirhams à un très dur commerçant.
Parcours de Râbi’ah Al-’Adawiyyah
Ce dernier chargeait Râbi’ah de tâches que sa capacité ne pouvait supporter, elle, la fillette qui n’avait pas encore atteint l’âge de la maturité. Néanmoins, la nuit, elle se retirait, seule dans sa chambre, pour s’en remettre des souffrances de la journée. Son repos, elle ne le trouvait ni dans la nourriture ni dans le sommeil. Son repos, elle le trouvait dans la prière et la supplication de Dieu. Elle faisait partie des gens sur lesquels s’appliquent le verset : « Mais Dieu vous a fait aimer la foi et l’a embellie dans vos cœurs et vous a fait détester la mécréance, la perversité et la désobéissance. Ceux-là sont les bien dirigés. » (Sourate 49 intitulée les Appartements, Al-Hujurât, verset 7) Quelle était cette force qui attirait ainsi cette petite fille vers l’adoration du Créateur des cieux et de la terre ? Peut-être était-ce l’influence spirituelle de son père lorsqu’elle était encore plus jeune.
Quoiqu’il en soit, la cause primaire de cette dévotion demeure la nature de sa personnalité, la nature du rôle pour lequel le Ciel l’avait élue, la nature de la mission qu’elle allait devoir accomplir à Bassora à cette époque, puis dans tout le monde musulman par la suite.
Une nuit, son maître se réveilla de son sommeil, il entendit la prière et les supplications de Râbi’ah, et il observa discrètement, derrière la porte, ce qu’elle faisait. Farîd Ad-Dîn Al- ’Attâr, le biographe de Râbi’ah, écrit : « Il aperçut Râbi’ah prosternée, entrain de prier et de dire : « Ô Dieu ! Toi Seul sait à quel point mon cœur désire T’obéir. La prunelle de mes yeux sont à Ton service. Si j’avais quelque pouvoir sur moi-même, je n’aurais cessé une seule seconde de M’adresser à Toi. Mais Tu m’as abandonnée à la merci de cette créature violente. » Au cours de ses invocations et de sa prière, le maître aperçut au-dessus d’elle une lampe planant entre ciel et terre. Sa lumière emplissait toute la pièce. Lorsqu’il vit cette lueur étrange, il fut saisi de peur et il demeura là, pensif, jusqu’au lever du jour. C’est alors qu’il appela Râbi’ah : « Râbi’ah ! Tu es libre ! Si tu le désires, tu peux rester parmi nous et nous serons tous à ton service. Et si tu le désires, tu peux partir où tu veux. » Elle lui fit ses adieux et partit. »
Les mosquées étaient devenues sa demeure. Tâhâ ‘Abd Al-Bâqî Surûr tient dans son livre Râbi’ah Al-’Adawiyyah et la vie spirituelle en Islam les propos suivants : « Elle se mit a jouer de la flûte dans les cercles d’invocation de Dieu et dans les lieux de rassemblement soufis. Les soufis ne voient aucun tort à ce qu’ils composent des poèmes chantant la Gloire de Dieu et à ce qu’ils jouent de la flûte. Pour eux, la musique permet de détendre l’âme, de faire vibrer le cœur et de permettre à celui qui l’écoute de prendre son essor vers le ciel. » Râbi’ah avait alors quatorze ans. Mais cette étape de sa vie ne dura pas longtemps. Son âme inclinait à la solitude et à l’éloignement du brouhaha généralisé des hommes.
L’univers dans lequel elle aspirait à vivre était un univers à la fois vide de créatures mais plein de la douce Proximité du Créateur. Son cœur se purifia de la matière éphémère de ce bas-monde, il se purifia des passions, des instincts, de la peur et de l’espoir. Son cœur n’était plus empli que de la satisfaction qu’elle affichait vis-à-vis de Dieu, et de l’envie de vouloir atteindre le Céleste Agrément divin. Elle refusa tous les prétendants qui demandèrent sa main. Elle n’avait pas de place à offrir dans son cœur voué exclusivement à Dieu. Et elle n’avait pas le temps non plus de se consacrer à un autre amour que l’Amour de Dieu. L’Encyclopédie des sciences islamiques précise : « Après avoir recouvré la liberté, Râbi’ah s’établit dans le désert, après quoi elle se rendit à Bassora où elle rassembla autour d’elle un grand nombre d’aspirants à la voie spirituelle et de compagnons qui s’acheminaient jusque chez elle pour assister à ses enseignements et à ses invocations et pour écouter ses paroles. Parmi les plus illustres de ses disciples, on peut citer Mâlik Ibn Dînâr, l’ascète Rabâh Al-Qaysî, le spécialiste du Hadith Sufyân Ath-Thawrî et le soufi Shafîq Al-Balkhî. »
Retour à Dieu
Râbi’ah retrouva son Seigneur à l’âge de quatre-vingts ans. Toute sa vie durant, elle passa ses nuits et ses jours emportée dans la méditation de Dieu, recherchant avec ferveur Son Amour. Elle l’implorait sans lever ses yeux au Ciel, par crainte respectueuse de sa part. L’Encyclopédie des sciences islamiques dit à son sujet : « Râbi’ah se distingua des soufis qui l’avaient précédée, en ce sens que ces derniers n’étaient que des ascètes et des dévots. Quant à elle, elle fut une véritable soufie, animée par un amour intense et débordant. Elle fut par ailleurs la première soufie à proclamer l’Amour absolu, l’amour qui n’est entravé par aucune passion autre que l’Amour de Dieu. Elle fut enfin la première soufie à poser l’Amour comme source d’inspiration et d’illumination. »
Fausses conceptions au sujet de Râbi’ah Al-’Adawiyyah
Chez de nombreuses gens, l’image gardée à l’esprit au sujet de Râbi’ah est celle d’une beauté qui se vautra dans une vie de débauche et de luxure et qui, voyant que sa jeunesse allait dépérissant, se tourna vers l’adoration et l’obéissance de Dieu. Cette image est fausse et complètement déformée. Elle a été colportée par des livres tels que Râbi’ah Al- ’Adawiyyah, martyre de l’Amour divin du Docteur ‘Abd Ar-Rahmân Badawî, ou par des
pièces de théâtre telles celle du poète égyptien Tâhir Abû Fâshâ, La Martyre de l’Amour divin, ou encore par l’œuvre cinématographique retraçant la vie de Râbi’ah et dont les rôles principaux sont revenus à Nabîlah ‘Ubayd et à Farîd Shawqî. Toutes ces œuvres ont gravé dans les esprits cette image erronnée de Râbi’ah. Si les nécessités de la littérature, de l’art, du théâtre ou le besoin de satisfaire le public justifient ce que nous avons fait de Râbi’ah, alors que toutes ces justifications aillent au diable. Nous ne voulons garder que la véritable image, innocente, pure et lumineuse de Râbi’ah Al-’Adawiyyah.
Quelques perles et joyaux de Râbi’ah
Uhibbuka hubbayni hubbal-hawâ wa hubbal-linnaka ahlul-lidhâkâ Fa-ammal-ladhî huwa hubbul-hawâ fa-shughlî bi-dhikrika ‘amman siwâkâ Wa ammal-ladhî anta ahlul-lahu fa-kashfuka liyal-hujuba hattâ arâkâ Fa-lal-hamdu fî dhâ wa lâ dhâka lî wa lâkil-lakal-hamdu fî dhâ wa dhâkâ
Traduction
Je T’aime de deux amours : l’amour de la passion et un Amour car Tu es digne d’Amour Quant à l’amour de passion, il s’agit pour moi de T’invoquer, Toi Seul, en-dehors de tout autre,
Et quant à celui dont Tu es digne, il s’agit pour Toi de m’ôter le voile afin que je Te voie La louange ne me revient ni dans celui-ci ni dans celui-là : à Toi revient la louange dans celui-ci et dans celui-là
Si le monde entier appartenait à un seul homme, il n’en serait pas plus riche. On lui demanda : Mais pourquoi ? Elle répondit : Car le monde est éphémère.
Ô Seigneur ! Brûleras-Tu par le Feu un cœur qui T’aime, une langue qui T’invoque et un Serviteur qui Te craint ?
Je supporterai toutes les douleurs et je les endurerai. Mais une souffrance encore plus terrible me travaille l’âme, sectionne les ligaments de la patience dans mon âme. Cette souffrance trouve son origine dans un doute installé dans mon esprit : Es-Tu satisfait de moi ? Tel est mon dessein.
Sayyidî bika taqarrabal-mutaqarribûna fil-khuluwât Wa li-’adhamatika sabbahal-hîtânu fil-bihâriz-zâkhirât Wa li-jalâli qudsika tasâfaqatil-amwâjul-mutalâtimât Antal-ladhî sajada laka sawâdul-layli wa daw’un-nahâr Wal-falakud-dawwâr
Wal-bahruz-zakhkhâr
Wal-qamarun-nawwâr
Wan-najmuz-zahhâr
Wa kullu shay’in ‘indaka bi-miqdâr
Li-annakal-lâhu ta’âlal-’aliyyul-qahhâr
Traduction
Mon Maître, c’est par Toi que se rapprochent, dans leur intimité, ceux qui veulent se rapprocher de Toi
C’est à Ta Majesté que les poissons ont adressé leurs louanges dans les profondes mers C’est pour la Magnificence de Ta Sainteté que les vagues déferlantes se sont abattues C’est devant Toi que se prosternent l’obscurité de la nuit et la lumière du jour
Ainsi que l’orbite circulaire
Et l’océan profond
Et la lune étincelante
Et les étoiles florissantes
Tu as tout assigné à sa juste mesure
Car Tu es Dieu, le Très Haut, le Tout Puissant
Sufyân Ath-Thawrî demanda à Râbi’ah : Quelle est la réalité de ta foi ? Elle lui répondit :
Je ne L’adore pas par crainte de Son Feu, ni par amour pour Son Paradis. Je serais alors comme le mauvais salarié. En réalité, je L’adore parce que je L’aime tellement. [ Râbi’ah avait l’habitude d’accomplir mille rak’ahs [ On demanda à Râbi’ah : Comment est ton amour pour le Messager – paix et bénédiction sur lui ? Elle répondit : Par Dieu, je l’aime vraiment très fort. Mais l’Amour du Créateur m’a absorbée par rapport à l’amour des créatures.
Un dévot, assistant aux enseignements de Râbi’ah, s’écria un jour : Ô Dieu, agrée-moi ! Elle lui répondit : Si tu agrées Dieu, Il t’agréera. Il demanda : Mais comment puis-je agréer Dieu ? Elle lui dit : Lorsque tu seras heureux des calamités qui s’abattent sur toi tout comme tu es heureux des bienfaits qui descendent jusqu’à toi, car tout vient de la part de Dieu.
P.-S.
Cette présentation s’est appuyée sur la source fournie par le site Islamonline.net.
Source: http://www.islamophile.org
Notes
[1] Le lecteur pourra consulter cet article où Sheikh Abd Al-Halîm Mahmoud explique ces propos de Rabî’ah.
[2] unité cyclique de la prière.