Elections du CFCM : après sa victoire, l’UMF déterminée à « réformer le CFCM de l’intérieur ».
A l’issue des élections organisées par le Conseil français du culte musulman (CFCM) les 10 et 17 novembre 2019, l’Union des mosquées de France (UMF) est arrivée en tête des urnes, Sans aucun membre coopté, la jeune fédération, née en 2014, est devenue une composante majeure du CFCM, déjouant ainsi quelques pronostics du fait, en partie, des récents conflits opposant l’UMF à l’instance. Son président, Mohammed Moussaoui, revient sur les résultats du scrutin dont il entend bien tirer profit pour, l’espère-t-il, peser dans une instance qui a besoin d’une réforme en profondeur.
Saphirnews : L’UMF a obtenu 17 sièges au Conseil d’administration du CFCM, parvenant ainsi à devenir la première force électorale au sein de l’instance. Qu’est-ce que ce résultat vous inspire ?
Mohammed Moussaoui : Ce résultat nous impose une grande responsabilité et nous donne espoir quant à la possibilité de réformer le CFCM de l’intérieur. Compte tenu du mode de représentation au sein du CFCM, cette tâche ne sera pas facile, mais nous sommes déterminés à déployer tous nos efforts aux côtés des autres composantes du CFCM avec une seule motivation, défendre l’intérêt général du culte musulman.
En effet, aux côtés des 45 élus par les 25 régions, 45 autres sont désignés essentiellement par cinq fédérations.* L’UMF ne dispose d’aucun désigné parmi les 45. Ce collège de désignés pèse donc autant que le collège des élus.
Pérenniser ce système par lequel certaines fédérations désignent, sans aucune élection, plus de 50 % du Conseil d’administration du CFCM, est de nature à aggraver la défiance des musulmans de France à son égard et à les en éloigner davantage.
Les statuts du CFCM précisent que c’est le CA qui élit le bureau et que le président et les vice-présidents sont issus des trois ou quatre fédérations qui disposent de plus grand nombre de délégués (élus ou désignés). Avec uniquement ses élus, l’UMF en fait partie. Des discussions auront lieu avant le 7 décembre 2019, date de l’élection du bureau. L’UMF entend mettre à profit ces discussions pour demander un engagement ferme du futur bureau, avec un échéancier raisonnable, pour élaborer un projet d’avenir pour cette institution, l’objectif étant de la réformer en profondeur et de lui donner les moyens de servir l’intérêt du culte musulman et de répondre, d’abord et avant tout, aux attentes légitimes des musulmans de France.
*La répartition des désignés a été actée comme suit : 9 pour la Grande Mosquée de Paris, 9 pour le Rassemblement des musulmans de France (RMF), 9 pour Musulmans de France (MF, ex-UOIF), 6 pour le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF), 4 pour Milli Gorüs, 3 pour la Fédération française des associations islamiques d’Afrique, des Comores et des Antilles (FFAIACA), 2 pour Foi et Pratique et Tabligh, 3 non affectés.
Cela signifie-t-il que vous allez plaider le 7 décembre pour que l’UMF fasse partie du bureau, voire même qu’elle obtienne la présidence ? Ceci en sachant que vous avez refusé de faire partie des fédérations statutaires du CFCM, un statut impliquant notamment d’obtenir des membres désignés.
Mohammed Moussaoui : Comme je l’ai déjà dit, avec uniquement les membres élus et bien qu’elle n’ait pas ce droit de désigner des membres, l’UMF arrive en tête. Elle participera donc à la constitution du bureau exécutif du CFCM et au projet du collège présidentiel pour les six années à venir.
La présidence est une question parmi d’autres. Selon les statuts du CFCM, les trois ou quatre fédérations arrivées en tête proposeront pour validation par le CA d’une composition du bureau exécutif dans lequel elles assureront à tour de rôle la présidence et les vice-présidences. L’UMF a le devoir et le droit de défendre le programme sur lequel elle a été élue. Ce programme a été publié dès mars 2018 puis enrichi en 2019. Naturellement, rien n’empêche l’UMF, arrivant en tête, de demander de présider la première période.
L’UMF plaidera pour que toutes les composantes (et pas uniquement les trois ou quatre arrivées en tête) puissent être associées à cet effort de représentation en leur permettant d’assurer également des responsabilités importantes.
Il est à noter une hausse de la participation des mosquées cette année par rapport aux élections de 2013. Ne faut-il pas s’en réjouir pour une meilleure représentativité du CFCM ?
Mohammed Moussaoui : Certains se félicitent de la participation de près d’un millier de mosquées (près de 870 en 2013) et y voient une progression de la participation par rapport à 2013. Je ne partage pas cette conclusion.
En effet, sur l’espace des six années qui séparent 2013 à 2019, de nouveaux lieux de culte ont été construits, sans oublier la nouvelle participation de deux fédérations (UMF et MF). Celles-ci n’auraient-elles apporté que 130 lieux de plus qu’en 2013 ? Bien sûr que non ! Autrement, l’UMF n’aurait pas obtenu 17, voire 18 élus sur les 45. Car un 18e élu pour l’UMF pourrait, en effet, être obtenu via la région Pays de Loire où il y a un litige non encore tranché par la Commission électorale nationale du CFCM (COMELEN).
La participation aux élections n’a pas progressé. C’est la dure réalité que nous devons regarder en face, en analyser les raisons et en tirer les leçons pour l’avenir.
Vous demandez au CFCM de chercher les raisons du faible taux de participation aux élections. Quelles sont les raisons que vous soulevez pour votre part ?
Mohammed Moussaoui : Le 8 avril 2019, au-lendemain de l’AG du CFCM du 7 avril, il a été annoncé (via Saphirnews, ndlr) que « le principe d’une présidence tournante serait maintenu, avec un partage annoncé de la direction du CFCM entre la Grande Mosquée de Paris, le RMF et le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF) à tour de rôle, tous les deux ans ». C’était avant même l’annonce des dates des élections ! Comment voulez-vous que les mosquées se mobilisent pour ces élections si les résultats sont déjà fixés et négociés à l’avance ?
Le système de désignation de plus de 50 % du CA, qui a probablement donné lieu à ce type d’annonce prématurée, est un obstacle majeur devant la participation aux élections.
Combien de mosquées avez-vous pu mobiliser pour l’UMF ?
Mohammed Moussaoui : Près de 350 mosquées affiliées à l’UMF (sur le millier de lieux de culte participants) ont pris part à ces élections. Bien que ce chiffre soit supérieur à celui des autres fédérations, nous sommes convaincus que nous aurions pu faire beaucoup mieux si le système de désignation n’a pas, dès le départ, plombé ces élections.
Le conflit qui oppose l’UMF et le RMF a-t-il impacté la participation de certaines mosquées à ces élections ?
Mohammed Moussaoui : Sans l’exclure complètement, l’argument principal en revanche qui a fait sérieusement hésiter certaines de nos mosquées à prendre part à ces élections, c’est leur refus de cautionner la dernière réforme du CFCM. Celle-ci, en voulant pérenniser le système de désignation de plus de 50 % du CA, a rendu les élections sans intérêt.
A cet argument qu’il faut entendre et prendre en compte, nous avons avancé deux arguments. D’une part, les élections ont un intérêt certain au niveau régional où le système de désignation n’a pas été retenu dans les statuts du CFCM. D’autre part, les élections mettent en évidence les défauts du système de désignation et les exposent devant l’opinion publique avec l’espoir qu’un sursaut puisse en naître.
A notre regret, ces arguments n’ont pas été suffisants pour convaincre les hésitants. Cependant, compte tenu des résultats obtenus par l’UMF, nous estimons qu’une nouvelle dynamique profitable à l’organisation du culte a été enclenchée.
Vous êtes un fervent défenseur de la départementalisation du culte musulman. Est-ce uniquement par cette voie que se joue l’avenir de l’islam de France et, in fine, du CFCM ?
Mohammed Moussaoui : Outre l’abandon du système de désignation, la départementalisation du culte musulman, largement plébiscitée par les musulmans de France, pourrait être la porte d’entrée pour faire participer davantage de mosquées à la vie du CFCM.
Compte tenu de l’étendue de certaines régions et le manque de moyens, notamment financiers, ce sont souvent les membres du CRCM (entre 6 et 10 membres) qui arrivent à se rencontrer. Avec la départementalisation, nous multiplions le nombre de personnes impliquées et permettons a de nouvelles compétences locales de prendre part à la vie des instances du culte musulman pour les rendre plus proches des préoccupations des musulmans de France.
Ces préoccupations sont traitées le plus souvent à l’échelon départemental voire communal : construction de mosquées, enseignement religieux, formation des imams, lutte contre l’islamophobie, sécurisation des lieux de culte, lutte contre la radicalisation, organisation des fêtes religieuses, création de carrés confessionnels dans les cimetières communaux… Sur toutes ces questions, c’est souvent le préfet et le maire de la commune qui sont les interlocuteurs principaux des responsables musulmans.
La départementalisation renforcera, par ailleurs, la coopération et l’entraide entre les mosquées locales loin des luttes d’influence des fédérations nationales. Ce qui permettrait, je l’espère, l’abandon de certaines cloisons préjudiciables aux intérêts du culte musulman.
Rédigé par Hanan Ben Rhouma | Lundi 25 Novembre 2019
Source : https://www.saphirnews.com/Elections-du-CFCM-apres-sa-victoire-l-UMF-determinee-a-reformer-le-CFCM-de-l-interieur_a26776.html