Ensemble, dénoncer, comprendre, agir, prier
En ce début du mois de juin, la société française fait face à plusieurs chocs : à nouveau, celui de l’arrestation d’un jeune français de tradition musulmane, auteur présumé de l’assassinat de quatre personnes au musée juif de Bruxelles le 24 mai 2014.Cet attentat antisémite a, très vite, été dénoncé par tous les responsables politiques et religieux, et parmi eux les diverses autorités musulmanes de notre pays. Comment ne pas penser à l’action de Mohammed Merah ? Quelques semaines auparavant les agissements de la secte Boko Haram au Nigéria avec l’enlèvement de deux cents jeunes filles avaient aussi suscité des condamnations
unanimes dont celle de responsables musulmans en France. Ensemble, nous devons dénoncer tous ceux et celles qui utilisent le nom de Dieu ou la religion pour susciter la haine parmi les êtres humains ou pire encore tuer.
La société française est aussi sous le choc des résultats aux élections européennes, avec près des deux tiers de citoyens s’abstenant d’y participer et le Front national, devenant le premier parti représentant les Français au parlement Européen.
Dénoncer ne suffit pas. Il faut chercher à analyser et à comprendre, comme viennent de le faire, à Lyon, des responsables musulmans. Pourquoi des jeunes de familles musulmanes partent se battre en Syrie en invoquant un «jihad » ? Pourquoi une telle abstention dans les jeunes générations et tant de voix pour l’extrême droite ? Ce vote témoigne de la défiance de plus en plus grande vis-à-vis de la politique et des responsables politiques qui semblent vivre dans un autre univers que leurs concitoyens affrontés aux situations de plus en plus difficiles de précarité, de chômage. Il témoigne aussi d’une peur devant l’avenir, d’une désorientation au sens propre du terme : dans ce monde mondialisé, en crise, vers où se tourner pour orienter sa vie personnelle, familiale, celle de la société ou de l’Europe ? Le besoin de sécurité est clair mais s’en tenir à la seule réponse sécuritaire dans les enjeux de la présence et de la vie des musulmans en France est une vue à très court terme.
Comment entendre l’inquiétude de musulmans et de catholiques quand ils ont le sentiment que des piliers comme la famille sont mis en cause ? La défiance est en train de naître parmi des familles populaires, musulmanes en particulier, vis-à-vis de l’Education nationale, jusqu’ici lieu privilégié de l’apprentissage du vivre ensemble en France. Cette défiance est grave : les responsables politiques seront-ils capables de percevoir que le registre des valeurs est fondamental pour construire une vie humaine et une vie ensemble en société ? Musulmans et chrétiens, sommes-nous capables de nous retrouver pour analyser et comprendre les bouleversements en cours ? L’enjeu n’est pas de constituer un front commun des religieux contre les autres mais de rétablir ensemble une confiance et de prendre des initiatives communes aux croyants et non-croyants porteurs d’un certain sens de l’homme.
Ensemble dénoncer, ensemble nous retrouver pour analyser et comprendre, ensemble prendre des initiatives, croyants, musulmans et chrétiens et humanistes, oui ! Mais aussi ne pas oublier notre rôle de croyants en Dieu, celui de la prière. Le Pape François nous y invite fortement à l’occasion de son pèlerinage en Jordanie, Palestine et Israël. Devant l’absence de toute perspective pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, l’impasse dramatique de cette situation pour tout le Proche-Orient, le pape François a déclaré « Il est temps de mettre fin à cette situation toujours plus inacceptable ». Il a proposé une initiative surprenante mais hautement symbolique en invitant à Rome le dimanche 8 juin, jour de la Pentecôte, les deux présidents, le juif Shimon Pérès et le musulman Mahmoud Abbas, à prier avec lui Dieu pour la paix. Reprenant, d’une certaine manière, l’initiative de Jean-Paul II à Assise en octobre 1985, Il rappelle aux croyants leur responsabilité spécifique, celle de supplier Dieu pour que la paix advienne. Chrétiens et musulmans, c’est aussi à cette condition que nous pourrons dans la société française être de véritables acteurs de paix et de fraternité.
Article : Christophe Roucou, 4 juin 2014
Source : Lettre du SRI N° 119 juin 2014
S.R.I. (Service de la Conférence des Evêques de France)