Entre la liberté d’expression et la volonté d’offenser, le devoir de fraternité
« N’insultez pas ceux qui invoquent d’autres divinités que Dieu, car ils seraient tentés, dans leur ignorance, d’insulter à leur tour Dieu, par esprit de vengeance. C’est ainsi que Nous embellissons aux yeux de chaque peuple ses propres actions. Puis ils retourneront tous à leur Seigneur, qui les informera de leurs actes passés » (Coran 6 : 108).
Face aux nombreuses attaques et insultes, notamment sur la Toile et les réseaux sociaux, dont font l’objet la religion musulmane et les musulmans, le verset précédent nous montre la voie à suivre : convaincre par l’échange et le dialogue et ne jamais céder à la bassesse et à l’esprit de vengeance. Certains musulmans s’égarent en pensant défendre la dignité de leur religion par la menace, la violence ou l’insulte. Ils ne font que renforcer et développer la caricature de tous ceux qui veulent réduire l’islam à l’intolérance et à la violence. Ces débordements et ces intimidations sont injustifiables tant vis-à-vis des préceptes de la religion musulmane qu’au regard de la loi républicaine dans laquelle s’exerce notre culte. Elles ne font que nous enliser dans des polémiques et débats qui altèrent la pleine inclusion dans notre nation.
Nous ne devons plus dilapider notre énergie et nos efforts dans la fange de ces combats qui souille la communauté nationale et ses idéaux de fraternité. La lutte contre tout ce qui peut dévoyer notre religion et ses principes ainsi que la promotion de ses valeurs authentiques doivent être notre priorité et notre préoccupation.
Ces débordements et ces intimidations sont injustifiables tant vis-à-vis des préceptes de la religion musulmane qu’au regard de la loi républicaine dans laquelle s’exerce notre culte.
La liberté d’expression est fondamentale. Elle est source d’enrichissement et de progrès par la diffusion d’idées et d’opinions qu’elle permet. Elle est le fondement de notre démocratie et le rempart contre toutes les formes d’aliénation. La critique des religions fait partie de cette liberté. Nous devons accepter que l’islam soit critiqué y compris dans ses principes et fondements. Face à ces critiques, les musulmans ont le devoir et le droit d’expliquer et d’argumenter dans la paix et le respect. Nous devons accepter tous les débats et refuser toutes les violences.
N’oublions jamais que le Coran lui-même rapporte avec fidélité les discussions du prophète de l’islam avec ceux qui contestaient sa prophétie et sa mission et avec ceux qui l’accusaient d’imposture et d’hérésie. Les opinions de ses contradicteurs sont citées avec fidélité et récitées dans nos maisons et nos mosquées au même titre que les autres passages du Coran !
Fraternité
Cependant, et avec la même fermeté d’âme, nous devons, quand la liberté de critiquer devient la volonté d’offenser et de désigner notre communauté de croyants à la vindicte, user de notre droit à défendre nos croyances dans le débat public et de recourir aux procédures que confère notre Etat de droit. L’insulte et l’injure ne seront jamais des expressions respectables ou acceptables.
Comme toutes les libertés fondamentales, la liberté d’expression a la limite fixée par l’article 11 de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » Le Conseil de l’Europe y fait écho dans sa décision du 28 novembre 2008 qui prohibe l’incitation publique à la violence ou à la haine visant un groupe de personnes ou un membre d’un tel groupe, défini par référence à la race, la couleur, la religion, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique (article 1er, paragraphe 1.a).
Trop souvent, le droit de critiquer notre religion sert de paravent à la mise à l’index des musulmans. Trop souvent, il sert à justifier des formes d’exclusion ou de ségrégation. Voilà pourquoi la justice doit être saisie chaque fois que la frontière entre l’expression libre et la volonté délibérée d’offenser est franchie. Et plusieurs décisions de tribunaux en ont reconnu le bien-fondé. L’islam de France ne demande pas d’être au-dessus des lois de la République. Il demande simplement le respect de ses croyances et de ses croyants. La défense de la liberté d’expression et [de] la liberté de croyance devra être notre ligne de conduite. Chaque fois que des fauteurs de haine chercheront à séparer les musulmans de leurs concitoyens, nous devrons nous y opposer avec la plus grande fermeté sans jamais céder à la provocation.
Car au-delà de ces considérations, ce qui fragilise notre nation, c’est l’oubli de la troisième valeur de notre devise nationale : la fraternité. En faisant de l’islam le bouc émissaire de tous les maux du pays, certains creusent un fossé dangereux entre les citoyens. Nous devons nous rappeler sans cesse que la liberté se met elle-même en danger si elle oublie la fraternité et le respect de l’égale dignité.
La fraternité ne donne pas lieu directement à des déclinaisons juridiques et normatives, mais elle est l’indispensable ciment entre tous les citoyens quelles que soient leurs convictions religieuses ou philosophiques.
Mohammed MOUSSAOUI, président du CFCM