Interview de Mohammed MOUSSAOUI, président de l’UMF au journal Lefigaro

Interview de Mohammed MOUSSAOUI, président de l'UMF au journal Lefigaro

INTERVIEW – Le président de l’Union des mosquées de France (UMF), grand vainqueur du premier échelon régional du CFCM, dénonce la crise interne de cette institution.

Par Jean-Marie Guénois
8.12.2019 à 19h43

Alors qu’elles devaient avoir lieu samedi 7 décembre, les élections nationales du Conseil français du culte musulman (CFCM) ont été pour la quatrième fois reportées. Elles devraient avoir lieu le 19 janvier 2020. Mohammed Moussaoui, qui sort vainqueur du premier échelon régional de cette consultation de toutes les mosquées de France, explique la crise traversée par le CFCM. Il a déjà présidé cette instance pendant plusieurs années. Il est également président de l’Union des mosquées de France (UMF). Ce docteur agrégé en mathématiques, enseignant chercheur à l’université d’Avignon, est également formé en théologie et en sciences islamiques.

LE FIGARO. – Votre fédération, l’Union des mosquées de France, a gagné la première étape de la consultation régionale des mosquées de France. Mais elle n’aura peut-être pas la présidence…

Mohammed MOUSSAOUI. – L’Union des mosquées de France, UMF, est arrivée largement en tête avec 17 élus et un 18e potentiel dans la région Pays de Loire où les élections n’ont pas encore eu lieu. Les trois fédérations arrivées en seconde position ont obtenu 6 élus chacune. Ce résultat nous donne espoir quant à la possibilité de faire évoluer le système de représentation au sein du CFCM qui plombe en effet cette institution et sa représentativité. Car cette représentation souffre de sérieuses anomalies dont un système de cooptation qui donne le pouvoir à cinq fédérations de désigner 45 des 90 membres du conseil d’administration national – soit 50%.

Cette cooptation permet à ces fédérations de peser sur les décisions bien davantage que les élus de toutes les mosquées de Frances réunies! Ces élus ont d’ailleurs très peu de chance d’entrer dans la direction du CFCM qui, de fait, ne compte quasiment que des cooptés… Par ce pouvoir, le président du CFCM peut même être remplacé par la fédération dont il est issu sans que les autres membres du CFCM puissent s’y opposer! Si cela continue, les musulmans de France se détourneront définitivement du CFCM et chercheront à s’organiser autrement.

Fort de votre résultat et malgré le handicap du système de cooptation, allez-vous présenter votre candidature à la présidence du CFCM?

Selon les statuts, les trois ou quatre fédérations qui arrivent en tête assurent à tour de rôle la présidence pour un mandat de six ans, avec un système de présidence tournante tous les deux ans. L’UMF, arrivée en tête, est en droit de demander de présider la première période. Mais la présidence n’est qu’une question parmi d’autres. Le sujet le plus important est la réforme du CFCM. Elle est attendue par les musulmans de France et demandée par les autorités de la République. L’UMF entend donc défendre son programme de réforme publié en mars 2018 puis en en septembre 2019, portant sur l’organisation et la mission du CFCM.

Quel est le point fort de votre programme de réforme?

Nous avons été les premiers à demander la création des conseils départementaux du culte musulman (CDCM). Cette organisation départementale de l’islam de France, plébiscitée par les musulmans, est la bonne porte d’entrée pour créer de la proximité. Elle permettra une participation plus large des acteurs du terrain et l’émergence de nouveaux talents. Car tout se joue à l’échelon communal et départemental: construction de mosquées, enseignement religieux, formation des imams, lutte contre l’islamophobie, lutte contre la radicalisation, organisation des fêtes religieuses, création de carrés confessionnels dans les cimetières communaux, etc. Sur toutes ces questions, c’est souvent le préfet ou le maire de la commune qui sont les interlocuteurs principaux et directs des responsables musulmans.

La départementalisation renforcera, par ailleurs, la coopération et l’entraide entre les mosquées locales. Et ce, loin des luttes d’influence des fédérations nationales. Ces dernières doivent plutôt concentrer leurs efforts sur les grands projets du culte musulman: création d’instituts de formation des cadres religieux ; élaboration de contenus pour leur formation, campagne nationale de lutte contre le radicalisme ; promotion des valeurs authentiques de l’islam pour prévenir la jeunesse contre le discours extrémiste et lutter contre la défiance d’une frange de nos concitoyens à l’égard de l’islam et des musulmans ; diffusion enfin d’une culture de paix et de dialogue à même de renforcer l’unité et la cohésion dans notre pays. Dans cette même logique de proximité, il faut enfin revoir le système de désignation par cooptation qui donne trop de pouvoir aux fédérations nationales au détriment des élus de la base.

Ces élections du CFCM ont mobilisé seulement près de 1000 lieux de culte sur 2500: sont-elles représentatives?

En effet, nous restons bien loin des 1500 mosquées ayant participé aux élections de 2005. Le CFCM met en avant une progression de la participation par rapport à 2013 qui avait vu 870 mosquées voter. Il ne s’agit nullement d’une progression. Il ne faut pas perdre de vue que pour sa première participation au processus électoral, l’UMF apporte, à elle seule, plus de 360 mosquées sur les 1000 annoncées. Le reste de nos mosquées a été découragé par le système de cooptation. C’est cette dure réalité que nous devons regarder en face, en analyser les raisons et en tirer les leçons pour l’avenir.

Quelles leçons?

Le CFCM fait face à une grande défiance des musulmans à son égard, sa réforme annoncée en 2017 n’ayant pas vu le jour. Le 8 avril 2019, a été annoncé le maintien du principe d’une présidence tournante avec un partage tous les deux ans de la direction du CFCM entre les mêmes fédérations (GMP, RMF, CCMTF*). Le tout fut programmé avant même l’annonce de la date des élections! Comment voulez-vous que les mosquées se mobilisent pour des élections si les résultats sont déjà fixés et négociés à l’avance entre les mêmes acteurs? Il faut sortir d’urgence de cette situation aberrante pour retrouver la confiance perdue avant qu’il ne soit trop tard.

Source : http://www.lefigaro.fr

Défilement vers le haut