Les complices cachés de Daesh
L’un laisse entendre que les musulmans s’apprêteraient d’ici quelques années à « soumettre » le peuple français à un choix terrible, entre « eux » et Marine Le Pen, avant probablement de les « soumettre » à leur loi religieuse.
Un autre laisse entendre que des millions de Français pourraient bientôt être contraints de quitter la France, chassés par des musulmans -eux-mêmes non français, bien évidemment !
Un troisième, il y a quelques années déjà, s’est posé comme le théoricien d’un « grand remplacement » des Français par des « immigrés » devenus trop nombreux.
En Allemagne, ils sont quelques milliers à se dire « le peuple », non comme ceux qui voulaient se réunir à d’autres Allemands par-delà un Mur qui leur était imposé, mais pour élever un autre mur au milieu d’eux, et exclure de leur sein les musulmans-immigrés.
Ces représentations fantasmatiques qui ne cessent d’uniformiser « les musulmans » sous l’image de méchants envahisseurs immigrés, prennent appui sur des faits réels : oui, il y a des activistes furieux qui veulent en découdre avec un « Occident » lui aussi uniformisé comme malfaisant.
Mais en généralisant ce fait à tous « les musulmans », ces soi-disant défenseurs de l’Occident ne font qu’entrer dans le jeu de ces islamistes violents. Ces derniers ne cherchent qu’à dissoudre dans une Oumma idéalisée la grande diversité des musulmans français (et européens), lesquels n’aspirent qu’à vivre tranquilles avec leur famille et leurs amis, comme tout un chacun. Ces musulmans connaissent des parcours d’intégration souvent réussis -à côté d’autres processus de discrimination qu’il ne faut pas minimiser.
Au fond, les pourfendeurs de « l’islam » en général partagent avec les islamistes la même conception manichéenne et guerrière du monde. En parlant du « choc des civilisations », ils veulent le provoquer.
Oui, certains musulmans justifient par leurs textes leur propre impérialisme et leur violence. On doit se soumettre à leur diktat ou disparaître : dans de nombreux pays du monde, d’autres musulmans sont les victimes de cette vision du monde totalitaire, et en France plus récemment, ce sont des journalistes, des dessinateurs et des policiers qui en ont été les victimes.
Mais la grande majorité pense et vit le monde à partir d’autres versets pour appeler au respect des libertés qu’ils revendiquent pour tous. Ils rappellent par exemple qu’il n’y a « point de contrainte en religion », ou interprètent le terme « islam » en le rapprochant de la racine originelle « salam », la paix.
Ces croyants vivent au quotidien ce que les réformateurs musulmans contemporains s’attachent à théoriser ; ce sont eux qu’il faut aider à poursuivre cette lecture réformatrice et tolérante de leurs textes.
Tous les partisans de la démocratie doivent serrer les rangs, quelles que soient leur confession ou leur non confession, pour refuser ce climat malsain. Daesh a certes des complices parmi les musulmans du monde, mais il en a d’autres, tout aussi dangereux parce que cachés derrière la défense de « nos valeurs », et qui poussent eux aussi nos sociétés à la guerre civile.
Par :Martine Cohen
Sociologue au Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (CNRS-EPHE)
Omero Marongiu-Perria
Sociologue, spécialiste de l’islam en France
Publication: 09/01/2015