M. Moussaoui: une norme Halal est « du ressort exclusif des instances religieuses » du culte musulman en France
Les principales instances françaises représentatives du culte musulman ont refusé la mise en place par l’Association française de normalisation (Afnor) d’une « norme Halal » pour les aliments transformés. Elaborée à la demande de groupes industriels français de l’agroalimentaire, cette norme a suscité une levée de boucliers des institutions musulmanes de France qui dénoncent un opportunisme commerciale au détriment du respect des droits du consommateur.
Pour le président de l’Union des mosquées de France et président d’honneur du Conseil français du culte musulman, M. Mohammed Moussaoui, la décision d’instaurer une norme Halal est « du ressort exclusif des instances religieuses » du culte musulman en France.
Propos recueillis par Hasna Daoudi
Mohammed Moussaoui: L’Association Française de Normalisation (AFNOR) vient d’annoncer la mise en place d’une norme « Halal » élaborée, selon elle, à la demande d’industriels français de l’agroalimentaire en vue de faciliter l’exportation de certains produits. L’AFNOR déclare que la norme ne couvre pas la certification de l’abattage des animaux et ne concerne que les produits transformés incluant les conserves, plats préparés, charcuteries, confiserie, boulangerie. En tant que président de l’Union des Mosquées de France (UMF), je suis surpris face à cette démarche de l’AFNOR qui s’apparente à de l’opportunisme commerciale incompatible avec la mission d’un organisme de normalisation reconnu d’utilité publique et placé sous la tutelle d’un ministère de la République.
L’idée de créer une norme européenne certifiant les produits « Halal » a pris une tournure particulière en 2010 suite à une proposition autrichienne de norme halal au Comité Européen de Normalisation (CEN). Ce dernier, tenant compte des avis de nombreux pays européens, notamment la France, a jugé le projet autrichien non abouti et a ouvert des discussions sur la faisabilité d’une telle Norme. De son côté, l’association Française de Normalisation (AFNOR) a mis en place un groupe de travail incluant des industriels, les grandes distributions, les instances musulmanes, des organismes de certifications halal, des associations de défense des consommateurs et des associations de défense du bien-être animal.
Dès la première réunion, le CFCM que je présidais à l’époque avait réaffirmé que la définition du Halal était du ressort exclusif des instantes religieuses représentatives du culte musulman et qu’une charte halal du CFCM, conforme aux règles religieuses fondamentales liées à l’appellation Halal, aux textes réglementaires internationaux et européens et aux textes législatifs français en vigueur, était presque finalisée.
Très vite, le mode d’abattage selon le rite musulman s’est trouvé au centre des débats où les positions des uns et des autres se sont avérées irréconciliables. L’Afnor décidée à aboutir à une norme halal avait préféré contourner cette difficulté, quitte à ne pas tenir compte du caractère religieux du Halal, notamment en ce qui concerne le mode d’abattage. La responsable du département agroalimentaire de l’Afnor, Nadine Normand, réaffirme aujourd’hui que: « Ce n’est pas le rôle de la norme de trancher sur l’interprétation des textes religieux pour définir ce qui est interdit ou autorisé par l’islam. ». Dès lors, l’Afnor se trouve dans une incohérence flagrante. Car comment peut-elle décréter un procédé halal en aval de la filière sans se préoccuper de l’abattage qui, lui, en amont pourrait s’affranchir de toutes les contraintes avec des produits en dehors de la filière. En d’autres termes, comment peut-elle mettre en place une norme définissant le halal indissociable du rite musulman tout en ignorant ce dernier ?!
Par ailleurs, les instances musulmanes, inquiètes de la tournure qu’ont pris les travaux de l’Afnor, y ont suspendu leur participation dès avril 2015. Aujourd’hui, elles dénoncent l’attitude de l’Afnor qui laissait entendre le contraire.
Cette décision de l’AFNOR est-elle la conséquence de la non application de la charte Halal élaborée par le CFCM en 2010 ?
La contraire démarche de l’AFNOR, qui met en avant la demande des industriels français de l’agroalimentaire en vue de leur faciliter l’exportation de certains produits dans le monde musulman, s’apparente davantage à une action mercantile contraire à la mission d’un organisme public. Cependant, il faut reconnaître que les instances musulmanes ont une part de responsabilité dans cette situation.
Quand j’étais président du CFCM, l’élaboration d’une charte Halal était l’une de mes priorités. Après avoir défendu aux côtés des responsables de la communauté juive de France, l’abattage rituel menacé par le nouveau règlement européen du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort, j’ai mis en place un groupe de travail sur la charte Halal du CFCM . Ce groupe de travail auquel ont pris part les trois grandes mosquées (Evry, Lyon, Paris), des organismes de certification ainsi que des associations de défense des consommateurs musulmans, a produit une charte qui traite de tous les aspects du Halal. Elle aurait pu être validé par le Conseil d’Administration du CFCM fin 2010. Mais des membres fondateurs du CFCM s’y étaient opposés en menaçant de se retirer définitivement du CFCM si cette validation n’était pas ajournée.
Sur la même période, deux grands chantiers importants étaient également en cours : la réforme du mode de gouvernance du CFCM et l’élaboration du calendrier lunaire basé sur le calcul. J’ai quitté mes fonctions à la tête du CFCM en juin 2013 après avoir achevé la réforme du mode de gouvernance du CFCM en février 2013, et le calendrier lunaire en mai 2013. Mes successeurs s’étaient engagés à valider la charte Halal dès le début du mandat 2013-2019. A ce jour, seule la première partie (référentiel religieux) a été validée en novembre 2015. Je suis convaincu que si la charte Halal avait été validée et un label Halal créé, l’Afnor n’aurait pas osé faire ce qu’elle a fait.
La grande distribution s’intéresse de plus en plus au marché du Halal qui est en plein croissance. Quelles sont les mesures qui doivent être prises pour défendre les droits du consommateur ?
Selon le cabinet Solis, spécialisé en marketing identitaire, en 2010, le marché des produits halal représentait en France plus de 5,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires dont 4,5 milliards en produits alimentaires. Le marché international est estimé à plus de de 500 milliards d’euros. L’utilisation non réglementée et de plus en plus abusive du terme Halal et le manque de considération dont sont victimes les consommateurs musulmans doit cesser.
La charte Halal, élaborée en 2010, définit un cahier de charge détaillé du processus de production des produits halal et s’appuie sur des organismes de certifications Halal (OCH). Ces derniers sont soumis à des audits réguliers sous la responsabilité d’un comité national de certification garant du label « Halal ». Les OCH devront disposer du statut d’association loi 1901, s’engagent à respecter toutes les règles de gestion et d’information exigées par la loi, avec, notamment, une gestion désintéressée des dirigeants et respect des quotas de dirigeants pouvant être légalement salariés , non distribution directe ou indirecte de bénéfices , non attribution de l’actif aux membres de l’organisme et leurs ayants droit , interdiction des conventions entre eux et leurs dirigeants ou personnes interposées, susceptibles de remettre en cause le caractère désintéressé de leur gestion.
Les OCH s’engagent à utiliser des méthodes de certification permettant au consommateur musulman de s’informer sur la traçabilité et le respect du rituel musulman tel qu’il est défini par la Charte Halal du CFCM.
Dans cette perspective, ils mettent en place des procédures et des contrôles permettant d’assurer la pertinence et l’efficacité de la certification de l’ensemble des produits qu’ils certifient et dont ils assument la responsabilité, dans le respect des règles prévues par la charte Halal du CFCM.
Ce sont là quelques principes que prévoit la charte halal et dont la mise en œuvre est plus que jamais utile et nécessaire.