Mise en point Martyr n’est pas synonyme de kamikaze
Dans un article publié dans le magazine « Valeurs actuelles » du 10 avril 2020, son auteur qui ne veut voir dans le concept « martyr » que l’équivalent de « kamikaze » s’est élevé contre cette référence du CFCM en la qualifiant « de rhétorique dangereuse pour l’ordre public ». Il prétend qu’«Il faut s’attendre à ce que des éléments extrémistes, certes marginaux, s’efforcent de propager le virus autour d’eux en enfreignant les règles de confinement ». Son « argumentaire », qui n’en est pas un, comporte de graves accusations aussi choquantes qu’absurdes qu’il n’est pas utile de lister dans cette mise au point qui se veut synthétique.
Dans cet article de « Valeurs actuelles », il est fait référence à un des avis du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) où il est rappelé que les malades qui décèdent des suites d’une pandémie sont élevés au rang de « martyr ».
Pour préserver la vie du personnel funéraire et soignant, le CFCM avait demandé dans cet Avis la suspension de la toilette mortuaire des défunts en conformité avec les principes et les fondements de la religion musulmane.
Le terme « martyr » est la traduction choisie pour le mot arabe « chahid » dont la racine vient du verbe « Chahida » qui veut dire témoigner. En effet, ce terme qui vient du grec ancien « màrtus » qui veut dire témoin, a pris une place importante dans la terminologie de la foi chrétienne et dans de nombreuses traditions religieuses et convictions philosophiques. Dans la tradition musulmane, « chahid » est synonyme de témoin pour une cause juste et noble allant jusqu’au sacrifice ultime pour sauver la vie des autres.
Oui, le martyr n’est pas un concept péjoratif. Il n’a jamais été le synonyme de Kamikaze ou de terroriste. Ceux qui prétendent rechercher le rang de « martyr » en causant la mort d’innocents ne sont que d’abjects criminels. Leur mort, loin d’être l’expression d’un pseudo-sacrifice ultime n’est qu’une abomination pour l’humanité. Les vrais martyrs, dont nous chérirons la mémoire, sont ceux qui œuvrent inlassablement pour qu’après eux la vie continue.
De nombreuses traditions orales du prophète Muhammad (PBSL) évoque le rang et la récompense du « martyr » dans différents contextes. Ici nous souhaitons revenir sur quelques unes de ces traditions choisies parmi celles jugées authentiques (sahih) par les traditionnistes les plus connus et les plus respectés tel que l’imam El Boukhari. À ce titre deux traditions peuvent être citées et analysées.
La première : « Toute personne, en période de pandémie, qui reste confiné chez-lui, en étant patient, en se remettant avec confiance à Dieu et en ayant la certitude que rien ne l’atteindra en dehors de la volonté de Dieu, aura la récompense de martyr (chahid)» (Recueil d’El Boukhari n° 3287).
Cette tradition est souvent invoquée pour inciter les gens à rester chez eux et à empêcher le mouvement des populations entre les lieux touchés par la pandémie et ceux qui en sont encore à l’abri. Elle vient souvent en complément de cette autre tradition : « Si vous apprenez que la pandémie a touché un lieu n‘y allez pas. Si vous êtes dans un lieu touché par la pandémie ne le quittez pas » (Recueil d’El Boukhari n° 5396).
La deuxième : Le Prophète Muhammad (PBSL) a assisté au décès de l’un de ses compagnons. La fille de celui-ci informa le prophète que son père se préparait à participer à l’effort de guerre et souhaitait être parmi les « martyrs ». Le prophète dit : « Dieu donne à chacun selon son intention. Qui considérez-vous comme martyr ? Ils répondirent : celui qui tombe dans le champ de bataille. Le prophète Muhammad (PBSL) leur dit : Le rang de martyr est accordé à sept autres que celui qui se fait tuer dans le sentier de Dieu, et de citer celui qui décède dans une pandémie, dans une noyade, dans un incendie, dans l’effondrement d’une habitation, la femme suite à un accouchement difficile, … » (Sunan d’Abou Daoud n° 3111).
Au moment où la notion de martyr est sujet de perversion abjecte et de détournement à des fins criminelles par des terroristes et adeptes de la mort, il convient de rappeler avec force que cette notion de « martyr » a toujours été synonyme de sauvegarde de la vie sous toutes ses formes, si bien que le coran en parle dans ces termes « Ô croyants ! Cherchez du réconfort dans la patience et la prière ! Dieu est, en vérité, avec ceux qui savent s’armer de patience. Ne dites pas de ceux qui sont tombés au service de Dieu qu’ils sont morts, car ils sont bien vivants, mais vous n’en avez pas conscience » (Coran 2 : 153-154).
C’est exactement ce sens qui ressort de toutes les traditions prophétiques que nous avons rappelées. En effet les deux premières appellent les croyants à rester chez-eux pour sauver leur vie et celle des autres en limitant la propagation de la pandémie. Aujourd’hui, toutes les autorités sanitaires mondiales considèrent le confinement comme l’un des moyens les plus utiles dans la lutte contre les pandémies et pour la sauvegarde des vies.
Par la deuxième tradition, le prophète Muhammad (PBSL) a voulu attirer l’attention sur d’autres formes d’abnégation et de sacrifice que celle qui s’exprime dans les guerres entre les hommes.
Le premier cas (pandémie) évoque celui des victimes des pandémies. Il englobe les malades endurants malgré leur souffrance et leur douleur, et le personnel soignant. Ces femmes et ces hommes, qui se sacrifient jour et nuit pour sauver des vies, sont les témoins d’une abnégation qui honore l’humanité. La société leur est redevable à tout jamais.
Le second cas (noyade) doit nous faire penser à ces femmes et ces hommes qui sont à l’œuvre pour sauver d’autres au risque d’être eux- mêmes emporter par les eaux. Ceux-là aussi, nous leur devons respect, reconnaissance et gratitude.
Le troisième cas (incendie) doit nous rappeler ces femmes et ces hommes, soldats du feu, qui ont perdu leur vie en voulant sauver des flemmes des humains, des animaux et des forêts ou des champs de récole. Ces soldats ont cherché à sauvegarder la vie sous toutes ses formes en risquant de rencontrer la mort mais sans jamais la chercher.
Le quatrième cas (effondrement d’habitation) nous rappelle ces femmes et ces hommes qui s’introduisent dans les ruines de tremblements de terre pour sauver les ensevelis sous les décombres. Ils le font au risque de leur vie. L’attitude de ces vaillants et valeureux personnes force le respect de tous.
Le cinquième cas, de la femme qui meurt en accouchant, doit nous rappeler la grandeur de nos mères et leur sacrifice. Aux oublieux qui osent mettre la main sur une femme, la violenter ou l’agresser, le prophète Muhammad (PBSL) rappelle que celles qui prolongent la vie de l’humanité jour après jour ne le font pas sans sacrifice.
Alors que notre pays traverse une période très difficile, il est regrettable de voir certains entretenir la confusion. Chaque mot compte, soyons vigilants.
Mohammed Moussaoui, président du CFCM